Georges Bischoff (65 ans) est professeur d’histoire du Moyen Âge à l'Université de Strasbourg.
Il est plus spécialement connu pour ses travaux qui, dans un espace qui va de Colmar à Montbéliard
et des années 1200 à 1700, portent sur la noblesse, la paysannerie, les villes, le pouvoir,
la culture matérielle, l'art....
Mais plus que ces thématiques, c'est la passion de la source
historique qui le caractérise, l'archive avant tout mais aussi les biens matériels, comme objet
et support de construction d'un savoir dont l'Homme est le centre. Cet humanisme se traduit par
de nombreux autres centres d'intérêt, comme l'histoire du sport, du jouet ou du train, la bande
dessinée, la transition harmonieuse entre le passé et l'avenir.
Outre l'enseignement, ses moyens
pour ces messages, ses armes devrait-on dire, c'est l'humour qu'il manie avec brio et une
implication sans faille dans notre société de communication. Sans avoir de téléphone portable
ni de compte Facebook, il est pourtant aux premières loges dans les associations, la presse,
les revues, pour dénoncer les côtés négatifs de notre société et valoriser le sens positif,
le tout appuyé sur son expérience de l'histoire.
Par ses activités et ses réflexions, il est depuis longtemps un partenaire privilégié de notre
Société et à ce titre mérite amplement d'entrer au Panthéon de nos portraits au moment où il quitte
l'enseignement pour une retraite qu'on lui souhaite bienheureuse et ludique.
D'où vous vient votre passion pour le patrimoine ?
Comme Obélix, je suis tombé dans le chaudron tout petit. Je suis né à Guebwiller,
ville historique s'il en est, près de l'église des Dominicains et en face du célèbre
vignoble du Florival que j'arpentais avec mon père, pharmacien, grand marcheur et grand
amateur de botanique.
J'ai aussi eu la chance d'avoir eu un très vieux grand-père, Georges
de son prénom, pharmacien également et avant tout pour moi un puits de sciences. Un autre
Georges Bischoff, mon oncle, m'a donné sans doute la passion des châteaux par un de ses dessins
d'enfants de 1914.
Enfin, j'ai découvert une autre Alsace par un oncle, d'abord curé à Saverne,
où il vivait dans un superbe presbytère, puis chanoine à la cathédrale ; avec lui, j'ai pu parcourir
très tôt les combles et la flèche de cet insigne monument, en admirant d'ailleurs son absence totale de vertige.
Du côté de ma mère, j'étais proche de son oncle, Charles Wetterwald, fondateur du musée du Florival.
Ma mère elle même était une militante de premier plan pour la préservation et mise en valeur du patrimoine
guebwillerois, s'opposant en particulier aux projets de démolition dans la vieille ville du maire Charles Haby,
sans toujours grand succès d'ailleurs.
Mais elle a aussi fortement soutenu l'association Maisons Paysannes d'Alsace dès ses origines.
Je suis donc issu d'une double dynastie d'érudits, dont une branche de pharmaciens avec plusieurs Georges Bischoff.
Quel a été votre parcours de formation et votre parcours professionnel ?
J'ai été initialement attiré par l'histoire contemporaine et plus particulièrement l'architecture industrielle,
qui reste d'ailleurs un de mes jardins secrets. Mais la rencontre avec René Kippelen, enseignant de philosophie
au lycée de Guebwiller, a changé ma vie, comme à beaucoup d'autres de ses élèves.
Plus particulièrement, il m'a
entrainé un samedi pour faire des relevés au prieuré de Schwartzenthann, à Wintzfelden, alors complètement enseveli
au cœur de la forêt. Avec une pelle de jardin, nous avons dégagé le sommet d'un arc ouvrant sur une cavité avec une
vague sculpture au fond.
J'en ai fait un mauvais dessin que ma sœur, alors en « prépa chartes » a montré à Christian
Wilsdorf. Notre directeur d'archives, enthousiaste, a fait venir Robert Will (et le tout jeune Guy Bronner...)
pour entamer un fouille qui a livré d'abord un enfeu roman, puis les vestiges de l'église tout entière, aujourd'hui valorisée.
Je me suis donc tourné vers le Moyen Âge et pu rencontrer ainsi un autre maître, Francis Rapp, avec qui j'ai
fait toute ma formation.
Ses cours, ses séminaires, ses écrits et son sens de l'histoire m'ont servi de guide.
Mon premier article, comme il se doit, a d'abord porté sur les fouilles de Schwartzenthann. Mais c'est le mémoire
de maîtrise sur Murbach, puis la thèse sur les Etats provinciaux qui m'ont fait entrer dans la discipline et le métier :
Capes en 1974, agrégation en 1975, premiers postes au collège SaintExupéry à Mulhouse, puis les lycées Bartholdi et
Camille See à Colmar. Une période faste a été mon poste à l'Ecole normale de Colmar (7 ans), où le financement par
le département du Haut-Rhin nous donnait alors les vrais moyens d'une pédagogie ; mon poste (en détachement) au service
éducatif des archives départementales à Colmar (5 ans) m'a également permis d'initier de nombreux élèves aux sources concrètes
de l'histoire, en particulier contemporaine.
Dans la foulée d'ailleurs, comme je retrouvais l'histoire récente, j’ai eu à écrire un compte rendu de l'ouvrage
de Jean Mieg sur les manufactures du Haut-Rhin (1982) et pu découvrir les usines d'Issenheim et de Ribeauvillé où l'on
produisait encore des imprimés à la main.
Toutes ces activités pédagogiques et de recherche m'ont amené à prendre en
charge la direction de la Revue d'Alsace, puis celle de la revue de Thann-Guebwiller, tout en siégeant au comité de la
Fédération des Sociétés d'Histoire d'Alsace.
Chargé de cours à l'université dès les mêmes années, j'ai été nommé maître de conférences en histoire d'Alsace en 1988,
avant de passer professeur d'histoire du Moyen Âge en 1996.
Que pensez-vous que votre action apporte au patrimoine régional ? Quel sens lui donnez-vous ? Quels sont les principes qui vous guident ?
J'ai été impliqué très tôt dans le réseau des défenseurs du patrimoine. Outre la fouille de Schwartzenthann,
j'ai participé à l'opération Taupe (autrement dit le Centre d'archéologie médiévale de Ch.-L. Salch)
dès la fin des années 1960, avec des travaux à haut-Eguisheim, où j'ai encore une fois côtoyé Guy Bronner
(qui révisait son bac...) et rencontré Marc Grodwohl.
J'ai fouillé également aux Récollets de Rouffach (Pierre-Paul Faust)
et au château de Birkenfels (1975), dans l'association de Bernhard Metz, autre grande rencontre.
Mais le déclencheur dans mon implication en faveur d'une politique patrimoniale a été l'affaire des châteaux-hôtels,
en 1989, ce projet du conservateur des Monuments Historiques de transformer cinq des plus belles ruines de la région
en hôtel de luxe, au motif de les sauver sans avoir à ponctionner les crédits publics.
Ce projet a d'ailleurs été
un révélateur pour beaucoup de monde dans la région. Je pense avoir été un des acteurs principaux qui ont contribué
à renouveler notre rapport au patrimoine, avec l'idée d'une meilleure implication de la société civile. J'avais
en effet porté le projet devant la Corephae, ancêtre de l’actuelle Commission Régionale du Patrimoine et des Sites
(CRPS), puis dirigé un numéro spécial des Saisons d'Alsace, toutes choses qui ont finalement contribué à son abandon.
D'autres dossiers sont venus s'y ajouter par la suite, comme la dénaturation de l'ancien Hôtel des Cointet à Ensisheim,
pour en faire la Mairie sans âme actuelle (1990), la préservation de la chapelle contemporaine de Logelbach, une
opposition aux tours du môle André-Malraux et aux premiers projets d'aménagement de la place du Château à Strasbourg très récemment.
Toutes ces affaires m'ont permis d'être un vrai acteur dans la réflexion sur le devenir du patrimoine régional.
Le projet des châteaux-hôtels m'a propulsé à la tête des Saisons d'Alsace, que j'ai dirigées pendant 10 ans.
J'ai
eu l'honneur d'être sollicité également pour écrire la préface du Dictionnaire des monuments historiques d'Alsace
de J.-P. Beck, D. Toursel-Harster et G. Bronner (1995). Mes moyens pour faire réfléchir les élus et promoteurs dans
le domaine du patrimoine ont donc été avant tout des argumentaires développés à divers niveaux de diffusion, presse quotidienne
(Dernières Nouvelles d’Alsace), revues grand public (Saisons d'Alsace) et revues spécialisées, sans tomber dans la démagogie
et l'opposition stérile.
Pour ceux que çà intéresse, l'essentiel de mes idées sur le patrimoine sont développées dans un livre récemment paru
aux éditions du Belvédère, intitulé « Pour en finir avec l'histoire d'Alsace ».
Ma thèse est que la mémoire de la région,
c'est son patrimoine et qu'il faut tout faire pour la conserver. Les mauvais exemples sont la démolition de la belle caserne
Barbade pour céder la place à l'hôtel du département (1990), ou la restructuration actuelle de l'hôpital civil à Strasbourg.
Le bon exemple, ce sont les veilleurs de châteaux qui associent préservation et implication des acteurs locaux pour faire vivre
cette belle idée que notre passé a encore de l'avenir.
Cette rubrique vise à faire connaître les acteurs du patrimoine œuvrant dans la région, qu’ils soient professionnels ou bénévoles impliqués dans des associations, qu’ils soient en charge de la gestion ou de la protection du patrimoine, chercheurs (historiens, et historiens de l’art, archéologues, etc.), architectes, artisans, restaurateurs, etc. L’important est qu’ils soient passionnés et que leur action soit remarquable.