C’est un intérêt commun pour le patrimoine qui réunit Victor Beyer et son fils
Dominique et qui a influencé leur parcours professionnel.
Dès leur enfance respective,
l’attrait des civilisations éloignées de leur Alsace natale dans le temps et dans l’espace
a aiguisé leur curiosité pour la différence.
Par la suite, leur formation en histoire de l’art
a favorisé le développement de cet aspect de leur personnalité et ils ont tous deux été conservateur
de musée. Même s’ils ont chacun fait une partie de leur carrière à Paris, ils ont choisi de revenir
résider en Alsace.
Victor Beyer a laissé à Strasbourg le souvenir d’un excellent conservateur en chef
des Musées, spécialiste international de la sculpture et de l’art du vitrail en Alsace. Dominique Beyer
a enseigné l’archéologie du Proche-Orient à l’Université de Strasbourg.
Dans leur vie privée, le patrimoine
naturel a toujours été partie intégrante de cet intérêt et de cette sensibilité à la beauté de ce qui les entoure.
Né à Strasbourg en 1920, vous avez passé une enfance heureuse à Rothau, et vous preniez plaisir à observer la nature.
Quel a été votre parcours de formation ?
Je suis revenu en Alsace après ma démobilisation en juin 1940 et me suis inscrit à
l’université de Francfort, puis à celle de Strasbourg, où j’ai reçu une très bonne formation,
en particulier en archéologie et en histoire de l’art.
En mars 1943, j’ai été incorporé de force dans l'armée allemande. Versé dans les services sanitaires,
j’ai pu revenir sain et sauf après un périple en Europe centrale.
Après mon retour, j’ai passé le concours
d'entrée à l'École du Louvre, où j’ai été admis en 1945 et j’y ai terminé mon cursus par une thèse consacrée
à la sculpture strasbourgeoise du XIVe siècle.
Quel a été votre parcours professionnel ?
En 1948, je suis devenu assistant de Hans Haug, alors directeur des Musées de Strasbourg.
J’ai ensuite été chargé de la conservation du Musée de l'Œuvre Notre-Dame.
En 1964,
j’ai succédé à Hans Haug comme conservateur en chef des musées et les dix années suivantes
m’ont permis de présenter à l'Ancienne Douane une série d’expositions d’art moderne réalisées
sous l’égide du Conseil de l’Europe, certaines étant réalisées en collaboration avec Jean-Louis
Faure et Jean-Daniel Ludmann.
Celle que j’ai le plus aimé préparer a été celle des « Ballets russes
de Serge de Diaghilev », présentée en 1969. Des difficultés administratives m’ont décidé, à mon grand regret, à quitter Strasbourg en 1974 pour Paris, où j’ai été
nommé directeur du département des sculptures au Musée du Louvre. Cette période heureuse de ma carrière a pris fin lorsque
la Direction des Musées de France m’a pressé de prendre la tête de l'Inspection générale des Musées classés et contrôlés.
À la suite d’une mission d’inspection dans les territoires français du Pacifique, j’ai été sollicité pour assurer le commissariat
général d’une exposition d’arts de l’Océanie qui devait se tenir à Nouméa. Mais les troubles politiques ont commencé en 1984
en Nouvelle-Calédonie et l'exposition n'a pas pu y être montrée.
Alors que j’avais atteint l’âge de la retraite, j’ai poursuivi ma mission,
si bien que l'exposition a finalement pu être inaugurée en 1985 à Paris, au Musée des Arts africains et océaniens de la Porte Dorée.
Que pensez-vous que votre action ou vos recherches ont apporté au patrimoine alsacien ?
Outre mes fonctions dans les musées de Strasbourg, mes recherches et publications concernant le patrimoine
alsacien ont porté essentiellement sur le vitrail médiéval en Alsace, en particulier sur les propositions
de reconstitution des vitraux de l’église des Dominicains de Strasbourg, qui ont représenté un travail de
longue haleine. La sculpture a été mon autre centre d’intérêt : celle du Moyen Âge bien entendu, mais je me
suis aussi passionné pour l’étude du tombeau du maréchal de Saxe à l'église Saint-Thomas.
Par ailleurs, j’ai été assez fier du prix de l'Académie française qui a récompensé mon ouvrage "L’Alsace",
publié en 1975 aux éditions Arthaud. J’y décris les différents territoires de cette région, décrivant aussi
bien les paysages naturels, la faune et la flore, que les œuvres laissées par l’homme. J’y exprime aussi ma préoccupation
au sujet de l’avenir de la planète et de ses occupants :
[…] ou bien un frein sérieux sera mis à l’exploitation galopante des sites et de leurs ressources de tous ordres, et trouvé un équilibre entre démographie, technologie et nature, ou bien le monde basculera irrémédiablement dans l’abîme.
Et votre jardin secret ?
La création littéraire, aspect plus méconnu de ma production. J’ai publié des romans et des nouvelles
et j’ai pris grand plaisir à écrire des pièces de théâtre.
Né à Strasbourg en 1948, fils de Victor et de Christiane Beyer, Dominique Beyer est professeur émérite d’histoire et d’archéologie de l’Orient ancien à l’université de Strasbourg.
Quel a été votre parcours de formation ?
Dans ma jeunesse, j’ai été marqué par la lecture du livre de C. W. Ceram, « Des dieux,
des tombeaux, des savants » (1952). C’est sans doute aussi l’influence de mon père
qui m’a incité à entreprendre une licence d’histoire de l’art et d’archéologie à l’Université
de Strasbourg.
Des vacations que j’ai effectuées au Service de l’Inventaire, alors dirigé par
Roger Lehni, ont représenté pour moi un travail très formateur : j’y ai appris à faire des descriptions
de monuments ou d’objets d’art, mais aussi à travailler en équipe et à parcourir le « terrain »
dans différentes localités d’Alsace.
En 1969, j’ai participé à un chantier de fouilles dirigé par Olivier Pelon,
qui venait de succéder à Daniel Schlumberger à la tête de l’Institut d’Histoire et Archéologie
de l’Orient ancien de l’Université de Strasbourg. Cette fouille a eu lieu en Anatolie, à Porsuk
(Turquie), qui est aussi le site où j’ai dirigé mes derniers chantiers de fouille.
L’année suivante
est arrivé à cet institut un jeune maître de conférences, Jean Margueron, dont le charisme et l’enthousiasme
séduisaient les étudiants. Je suis parti fouiller sous sa direction à Larsa (Irak).
Quel a été votre parcours professionnel ?
Suivant l’exemple de mon père, je me suis intéressé à la carrière de conservateur de musée.
J’ai réussi le concours national en 1974 et été nommé conservateur au département des Antiquités
orientales du Musée du Louvre. J’ai travaillé sur le projet du « Grand Louvre » et ai notamment conçu
(en collaboration) les actuelles salles assyriennes et anatoliennes.
À Strasbourg, j’ai présenté deux expositions « De Sumer à Babylone » (Bibliothèque municipale) et « Emar, un royaume sur l’Euphrate au temps des Hittites » (Musée Historique).
Après avoir soutenu en 1989 une thèse concernant la glyptique syrienne antique, j’ai été nommé professeur à l’Institut d’Histoire
et Archéologie de l’Orient ancien à l’Université de Strasbourg, à la tête duquel je suis resté jusqu’en 2014.
J’y suis encore actif
en tant que professeur émérite et je dirige des thèses de doctorat.
Et l’archéologie de terrain ?
J’ai continué à participer aux nombreuses campagnes archéologiques
menées par Jean Margueron en Syrie, en particulier sur le site de Mari,
où j’ai pu fouiller jusqu’au déclenchement de la guerre en 2011.
J’ai moi-même dirigé plusieurs chantiers de sauvetage en Syrie et j’ai
depuis quelques années repris la fouille du site de Porsuk (Turquie).
Avez-vous un jardin caché ?
C’est précisément un jardin, que j’entretiens soigneusement et dont je préserve la flore et la faune,
dont la famille de hérissons qui y réside. J’aime en effet observer la nature : plantes, champignons,
oiseaux, etc. Je m’intéresse aussi à la photographie, savoir-faire indispensable dans mon métier.
J’ai,
entre autres, réalisé les photos illustrant certaines publications de mon père présentant des sculptures
alsaciennes, en particulier celles du monument funéraire du Maréchal de Saxe dans l’église Saint-Thomas.
Au contact de son époux Dominique et de son beau-père Victor, Berthe Beyer a elle aussi contribué
à faire découvrir le patrimoine alsacien.
Dans le cadre de son travail dans les musées
de Strasbourg, elle a transmis ses connaissances à un public à la fois nombreux et varié.
Quel a été votre parcours de vie ?
Durant mon enfance, j’ai vécu en Afghanistan et au Japon. J’ai effectué mes études
secondaires au Lycée français d’Athènes, où j’ai passé mon bac avant de venir
à Strasbourg et d’y obtenir une licence d’Histoire de l’Art et d’Archéologie,
grâce à des enseignants de grande qualité.
J’ai moi aussi participé aux fouilles
de Jean Margueron en Syrie entre 1975 et 1978, période durant laquelle j’ai épousé
Dominique Beyer et mis au monde notre premier enfant.
Nous habitions alors à Paris et j’ai passé l’examen qui m’a permis de conduire des visites guidées.
Quel a été votre parcours professionnel ?
En 1991, après la naissance de nos deux fils, nous sommes retournés à Strasbourg
où j’ai repris les visites en ville, puis dans les musées de la Ville.
L’opportunité s’est présentée pour moi de devenir médiateur culturel au
service éducatif des Musées et j’ai assuré cette fonction à la fois pour
le Musée Archéologique et le Musée Alsacien.
Mon rôle était de faire découvrir
et aimer le patrimoine alsacien au public. Il s’agissait d’organiser des visites,
thématiques ou non et de mettre sur pied un accueil spécifique pour certains visiteurs
(adultes, scolaires, handicapés, étrangers, etc.), que nous assurions avec une petite équipe
de vacataires spécialisées en archéologie régionale et en traditions populaires alsaciennes.
Décrypter les usages de l’Alsace traditionnelle à partir des objets exposés nous permettait
de mettre en relation des personnes ou des enfants issus de cultures ou de religions différentes
et de leur montrer la diversité, et souvent la proximité des pratiques humaines à travers le temps ou les lieux.
Avez-vous un jardin caché ?
Il s’agit plutôt d’un souhait : j’aimerais continuer à collecter des témoignages
de personnes âgées ou issues de cultures différentes de la mienne.
Ce serait une contribution au patrimoine oral de l’Alsace.
Cette rubrique vise à faire connaître les acteurs du patrimoine œuvrant dans la région, qu’ils soient professionnels ou bénévoles impliqués dans des associations, qu’ils soient en charge de la gestion ou de la protection du patrimoine, chercheurs (historiens, et historiens de l’art, archéologues, etc.), architectes, artisans, restaurateurs, etc. L’important est qu’ils soient passionnés et que leur action soit remarquable.