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N° 50 – JUIN 2017


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Sommaire




Éditorial


Chers amis,

Le premier mai tend à devenir, au moins en Alsace, la journée des châteaux forts, et il est fort bien de cristalliser les souvenirs et… les soucis que provoquent ces monuments si nombreux ici, et si appréciés, quel que soit leur état, habités, transformés ou en ruine.

Notre société avait organisé ce jour-là une sortie pédestre pour redécouvrir deux lieux insignes sur les flancs du Mont Sainte-Odile, avec sa dizaine de châteaux retraçant toute l’histoire de l’architecture castrale germanique.

Et justement, nous avons débuté par les châteaux d’Ottrott, complexe qui évolue depuis le milieu du XIème siècle : la Lützelburg d’origine, avec sa grande enceinte ovoïde qui correspond probablement à la migration de la fonction militaire de Hohenburg (à partir du XIème siècle, seule l’abbaye a une activité au sommet de la montagne).

La construction en petit et moyen appareil de grès présente, à son point haut et central, une tour peut-être de bois, remplacée au milieu du XIIème siècle par le premier essai de donjon rond de pierre.

Après la mainmise des Staufen sur le site, celui-ci est morcelé par le creusement d’un fossé isolant l’actuel Rathsamhausen, construit vers 1200, un des châteaux protégeant l’abbaye et confié à un ministériel qui prend le nom du site.

Le deuxième château, l’actuel Lützelburg, est le fruit probable des troubles du Grand Interrègne après 1250, qui profite d’un nouveau démembrement du site originel : un donjon rond surplombe le fossé, auquel répond rapidement un autre donjon rond construit sur le site de la Hinterlützelburg (actuel Rathsamhausen).

Le château est transformé jusqu’au XVème siècle, avec ses lices spectaculaires et son nouveau logis dans l’exiguë courtine primitive.

Cette visite était d’autant plus intéressante que le site venait d’être complètement débroussaillé par la toute nouvelle association de sauvegarde des châteaux d’Ottrott présidée par M. Pierre PARSY, qui nous a accueillis. Le site venait d’être rouvert au public, après plus de quinze années de barbelés et de broussailles… Les travaux de préservation reprennent !

Ratsamhausen : logis roman et tour-donjon rond gothique © G. Bronner, 2016


Notre deuxième visite du jour a été pour le Landsberg, autre jalon laissé par les Staufen : la construction est bien datée de 1200 par une charte toujours conservée aux Archives départementales du Bas-Rhin, et concédée à d’autres ministériels qui prennent le nom de Landsberg : il s’agit là d’une construction innovante, avec donjon-bouclier exposant un angle à l’attaque, protégeant un logis très décoré et précédé par une basse-cour surplombant le fossé, lequel détache l’éperon de la montagne.

Les travaux de consolidation se sont arrêtés il y a une dizaine d’années, d’importants moyens ayant été mis en œuvre entre 1980 et 2008 pour permettre la préservation du donjon roman et des deux tours gothiques. Actuellement, seuls les « Veilleurs de châteaux » essaient de contenir une végétation envahissante.

Cette préservation du patrimoine castral intéresse toute l’Alsace et pose le problème de son financement et de l’éloignement des centres décisionnels des monuments historiques, avec la nouvelle grande région, qui n’a certainement pas le mérite de rapprocher le citoyen du pouvoir : seules les collectivités locales peuvent encore encourager la sauvegarde avec de maigres moyens. On pourrait imaginer une SCMHA qui soit à nouveau le relais de cet entretien… et pas qu’au niveau des châteaux !

Guy BRONNER





Un patrimoine en voie de disparition : les peintures murales du casernement de Langensoultzbach


Dans le nord de l’Alsace, le charmant village de Langensoultzbach recèle un patrimoine méconnu en dehors des spécialistes de la Ligne Maginot, et qui, faute de protection, est aujourd’hui en train de disparaître.

Construit en 1934, le casernement de Langensoultzbach est un exemple type des « casernements de sûreté » destinés à loger les troupes de la Ligne Maginot en temps de paix : cinq bâtiments principaux sont complétés par une « cité des cadres » destinée aux officiers.
Il est occupé tour à tour par les troupes françaises jusqu’en 1940, les troupes allemandes jusqu’en 1944, puis à nouveau l’armée française jusqu’en 1960. La commune acquiert l’emprise foncière en 1983, puis la vend à une société immobilière en 1986.

Ce casernement est célèbre pour les très nombreuses peintures murales qui ornent ses murs.
À l’instar des peintures murales réalisées dans plusieurs ouvrages de la Ligne Maginot, comme à Schœnenbourg, ils témoignent d’une volonté des soldats d’améliorer leur cadre de vie en lui donnant un aspect joyeux, voire festif. La transformation de plusieurs bâtiments du casernement en logements à partir des années 1990 a fait disparaître de nombreuses œuvres, mais le bâtiment principal, aujourd’hui à l’abandon, permet de se faire une idée de ce qu’a été cet ensemble pictural exceptionnel.

© S. Saur, 2016


Plusieurs artistes, dont certains talentueux, ont travaillé à la mise en valeur des lieux. En l’absence de recherches dans les archives, il est impossible de savoir s’ils ont travaillé ensemble ou sur une longue période. Cependant, on peut faire quelques remarques d’ordre général. Tout d’abord, la plupart des œuvres peuvent être datées d’après la guerre : des représentations d’uniformes américains et d’insignes de la France Libre en témoignent.

D’autre part, aucune œuvre n’a été modifiée ou couverte par une autre, ce qui témoigne au minimum d’un respect pour le travail d’autrui, s’il n’y a pas eu de plan concerté pour la décoration des salles.

Enfin, ces représentations témoignent d’une volonté du commandement local de laisser les plus talentueux des soldats participer activement à la vie de la caserne, ce qui, pour n’être pas exceptionnel, n’est pas non plus la norme dans les armées.

Les thématiques représentées sont multiples : cornes d’abondance dans les escaliers et vignes dans les couloirs, chansons illustrées, cartes de l’Alsace et de la Lorraine, cathédrales (Strasbourg et Reims), scènes de combats, animaux… On trouve même Tintin et les Dupondt !
Les peintures constituent l’écrasante majorité des représentations, mais certains dessins d’une grande finesse ont été réalisés au crayon. Si certaines œuvres sont d’un style assez naïf, la plupart témoigne du talent de ceux qui les ont réalisées.

© S. Saur, 2016


Ce patrimoine exceptionnel est aujourd’hui en voie de disparition : le toit du casernement s’est effondré, l’humidité s’infiltre dans les murs, faisant tomber leurs enduits de plâtre, ce qui provoque la destruction irrémédiable des œuvres.

Au rythme actuel, seules les très nombreuses photographies prises par les amateurs depuis des années pourront, d’ici peu, témoigner encore de ce que fut ce patrimoine injustement méconnu.

Sébastien SAUR





Le Parc de la Maison Alsacienne : un Écomusée unique en France


Le Parc de la Maison alsacienne, association fondée en 1998, compte actuellement plus de 240 membres. Depuis sa création, elle s’est donnée pour mission de conserver le patrimoine rural de la région de Strasbourg, en érigeant un écomusée dans le centre-ville de Reichstett, agglomération située à 8 km au nord de Strasbourg.
Le principe de cet écomusée est de présenter « une maison / une époque », en s’appuyant notamment sur des savoir-faire archéologiques.
Les périodes d’ores et déjà traitées sont l’Alsace baroque de la fin du XVIIe et du début du XVIIIème siècle, la vie autour de la Révolution française et le tournant du XIXe au XXème siècle.

D’autres thématiques ont également été abordées : le blé et la paille dans une grange, un atelier de tonnelier, une pièce rassemblant les opérations recourant au feu (alambic, fumoir et lessiveuse), un circuit consacré aux machines agricoles du début du XXème siècle, enfin des jardins à thème.

Les maisons de l’écomusée ont préalablement été soigneusement démontées dans divers villages autour de Strasbourg.
Elles ont été remontées, à Reichstett, par les membres de l’association, avec l’aide d’un charpentier professionnel.
Tout le reste du travail est effectué les jeudis par des bénévoles. Ils sont aidés par des jeunes en difficulté, par des personnes en situation de handicap et, en été, par des chantiers internationaux de jeunes bénévoles.

L’objectif est de transmettre des techniques ancestrales et de créer un lien social et historique autour de la thématique de l’écomusée.


© Jean-Claude KUHN


Un nouveau projet : reconstituer une maison dans son état du milieu du XVIème siècle
Le remontage d’une maison provenant du n° 1, impasse de la Mairie à Eckwersheim (à 12 km au nord de Strasbourg) constitue le point d’orgue du projet visant à retracer à Reichstett l’évolution du bâti du Moyen Âge à nos jours. Elle a été démontée en 2001 par l’association.

Un laboratoire de Würzburg (Allemagne) l’a datée par dendrochronologie de 1544 : il s’agit de la plus ancienne maison connue de l’arrondissement de Strasbourg-Campagne (sur environ 15 000 maisons alsaciennes subsistantes).

Sa structure est à la fois à bois longs (se développant du solin à la toiture) et courts (limités à un seul niveau).

C’est le cas le plus ancien répertorié en Alsace. De nombreux emboîtements sont encore à mi-bois, en queue d’aronde, ce qui est une survivance des techniques de construction du Moyen Âge.

Sa charpente en chêne est conservée à 70 % environ, ce qui est beaucoup pour une maison de cette époque. Sa couverture, remplacée par les tuiles plates en queue de castor au cours du XVIIème siècle, sera reconstituée en tuiles creuses.

La maison est de grandes dimensions (9,28 x 8,60 m ; hauteur : 10,55 m). Elle est de plan presque carré, en contraste avec le format rectangulaire typique des maisons alsaciennes qui s’est imposé par la suite. Une loggia sur le pignon sur rue complète l’ensemble.

Le visiteur pourra y découvrir la vie du paysan de la proche région strasbourgeoise à la fin du Moyen Âge. On verra ainsi des intérieurs avec le poêle, la vaisselle et le mobilier de cette époque.

L’ensemble sera conçu de manière à permettre d’habiter les lieux et de les animer, dans une démarche d’archéologie expérimentale. À l’extérieur, un puits et un jardin médiéval complèteront l’ensemble.

Ce projet, s’élevant à un coût total évalué à 65 000 € TTC, est le plus important de l’association, qui lance un appel à des dons afin de pouvoir le mener à son terme. N’hésitez pas à la soutenir !


Jean-Claude KUHN


Le Parc de la Maison alsacienne

34 rue Courbée, 67116 Reichstett
03 88 20 59 90
www.maisonalsacienne.fr
livia.kuhn-poteur@orange.fr





L’association des riverains du Dinghof : Bilan d'une année de réflexions et d'actions


Dans la précédente Lettre d’information (n° 49 de janvier 2017) paraissait, sous la plume de la SCMHA, l’article « Le Dinghof d’Adelshoffen à Schiltigheim : un site sous haute vigilance ». Le soutien accordé par la Société à l’association des riverains du Dinghof a été déterminant quant à ses actions au niveau du patrimoine. Cette expérience toute neuve, il convenait que l’association la partage avec ses pairs, les associations locales.

Tel est le but recherché ici, en dressant le bilan d’une année de travail sous forme de confrontation entre objectifs recherchés et résultats obtenus. Sur le programme en trois points que l’association s’est fixé patrimoine, verger et projet immobilier adapté , seul le premier sera évoqué ici.

Les terrains au 37A rue d'Adelshoffen à Schiltigheim, après démolition des bâtiments © Eva Nonnenmacher, mai 2017


Le volet patrimonial
Trois axes ont été privilégiés.

1. Constitution et envoi à la Conservation régionale des Monuments historiques (CRMH) d’un dossier de demande de protection au titre des monuments historiques de l’ensemble dit du Dinghof (37A rue d’Adelshoffen), constitué par la maison à pans-de-bois de la fin du XVIIème siècle (n° 1 de la figure de l’article précité) et les bâtiments n° 2 et 3, également à pans-de-bois, mais sans doute plus récents que la maison.

Si la protection demandée n’a pas été obtenue, il n’en reste pas moins que la constitution du dossier a permis de poser de nouvelles questions sur le site et de préciser des données de première importance quant au village d’Adelshoffen. Les bâtiments à pans-de-bois feront quant à eux l’objet d’une attention particulière de la part du Service régional de l’archéologie (voir infra).

2. Information auprès du Service régional de l’archéologie (SRA) d’un projet immobilier en cours Le SRA a prescrit un diagnostic archéologique, qui a eu lieu du 3 au 7 avril dernier. Le creusement des tranchées de sondage a été précédé de la démolition attendue des bâtiments n° 5 et 6, mais également de la grange n° 2 et de la « remise » n° 3 qui auraient dû être épargnées.

En effet l’arrêté de prescription précisait bien à l’article 3 [qu’]« un diagnostic archéologique en tranchées pourra avoir lieu […] après démolition des bâtiments existants hors bâtiments à pans-de-bois. »

3. Actions judiciaires Concernant la partie patrimoniale, elles ont porté sur deux points.

D’une part, un référé suspensif a été introduit dès le 13 mars, aussitôt commencée la démolition des bâtiments à pans-de-bois (la maison alsacienne de la fin du XVIIème siècle n’est pas concernée par les démolitions).

Pour l’avocat de l’association, ce référé suspensif ne pouvait être introduit qu’une fois la démolition engagée. Mais pour le juge des référés, en charge de l’affaire au Tribunal administratif de Strasbourg le 23 mars dernier, il aurait fallu que l’affaire soit jugée en urgence bien avant les démolitions ! En effet, à la date du jugement, tous les bâtiments, y compris les pans-de-bois, étaient à terre !

Il semble dès lors légitime de se demander si les deux bâtiments à pans-de-bois ont été victimes de la politique du fait accompli ?

Dans ce cas-là, l’association ne serait-elle pas en droit de demander la reconstruction à l’identique ?

Le juge a d’ailleurs donné raison à l’association des riverains du Dinghof et a condamné la municipalité à une amende de 1000 €.

D’autre part, un référé suspensif a été introduit contre le déplacement de la maison alsacienne de la fin du XVIIème siècle siècle. L’association estime en effet que le déplacement de la maison est totalement contraire au POS, et que, de surcroît, il n’est dicté que par des considérations d’aménagement du terrain à visée immobilière.

La leçon précédente a été retenue. La nouvelle affaire est passée au Tribunal administratif de Strasbourg le 30 mars dernier, avant que ne s’amorce le moindre mouvement de démontage sur le bâtiment concerné.

Les associations locales, forces d’information et de proposition

Ainsi que l’a développé la rédaction de la SCMHA dans la précédente Lettre d’information, les associations ont une vraie place dans la cité. Actrices de leurs villes ou villages à titres divers, maillons essentiels ntre les différents interlocuteurs en présence, elles connaissent bien les sites qu’elles défendent et suivent de près leur évolution. Proches des citoyens, il leur est plus facile de se mettre à leur écoute en leur fournissant, le cas échéant, l’information attendue.

Mais cette action serait vaine si elle n’était sous-tendue par un esprit constructif. Ainsi l’association des riverains du Dinghof a-t-elle écrit à deux reprises, au Maire et au conseil municipal, des lettres ouvertes présentant des propositions alternatives au projet immobilier incriminé.

Elle estime en effet que la construction prévue est tout à fait déplacée dans ce lieu chargé d’histoire et qu’elle écrase de tout son volume la fragile maison alsacienne du Dinghof (voir www.dinghof.org, illustration en première page).

Ces expériences multiples acquises par les diverses associations ne pourraient-elles pas être mises en commun pour former des pôles spécifiques (patrimoine, juridique, communication…) qui seraient de nature à éclairer efficacement le citoyen ? C’est à ce projet que travaillent, main dans la main, les diverses associations de Schiltigheim.

Conclusion

C’est avec grande impatience que riverains et sympathisants du Dinghof attendent désormais les résultats des fouilles préventives, le questionnement du sous-sol du site ayant été dès le départ un de leurs objectifs majeurs. Dans la dernière de ses lettres ouvertes au Maire de Schiltigheim et au conseil municipal (voir www.dinghof.org), datant du 5 avril dernier, l’association imagine pour le quartier une solution à la hauteur des attentes des riverains : « […] mise en lumière de l'histoire ancienne du site […] avec, le cas échéant, une valorisation des découvertes ; projet immobilier respectueux de l'attente des riverains et viable pour la commune ; enfin restauration in situ de la maison de la fin du XVIIème siècle.[…]

Cet ensemble serait restauré et servirait effectivement de lieu pédagogique, en lien avec le verger que les nombreux enfants du voisinage, mais aussi de plus loin, viendraient entretenir. » Si tel était le cas, la ville de Schiltigheim ne se rapprocherait-elle pas des idées de Jean Nouvel développées dans un remarquable article du Monde du 28 mars 2017, où le célèbre architecte préconise la « sanctuarisation des terres agricoles et forestières et le réinvestissement de la banlieue en y faisant le choix résolu de la culture » ?

Berthe BEYER, membre du bureau de l’association des riverains du Dinghof, chargée du dossier Patrimoine





Un blason de tuilier du XIVème siècle à Wetterswiller (Bas-Rhin)


L'église du village de Weiterswiller, dans le canton de La Petite-Pierre, est bien connue pour le bel ensemble de peintures murales du début du XVème siècle.

Pour l'archéologue, l'édifice renferme aussi un autre trésor, mais jusqu'à présent passé inaperçu. L'angle nord-est de la nef conserve en effet un départ de voûte dont la sculpture en forme d'écu est ornée de deux moules de tuilier.

Le premier élément, à gauche, se présente sous la forme d'un objet rectangulaire, terminé en partie haute par une légère réduction à deux angles droits symétriques et en partie basse par un boudin un peu plus large en prolongement du côté droit : on peut sans conteste y reconnaître un moule de tuilier avec son manche (en bas) et le contour d'un emboîtement (en haut).

Le second élément, à droite, est un objet en coussinet légèrement trapézoïdal, terminé en partie haute, la plus étroite, par un petit retrait latéral symétrique et, en partie basse, par un boudin disposé cette fois dans l'axe : il s'agit ici d'un moule de tuile canal avec son manche pour une autre forme à emboîtement.

Les dimensions générales sont les mêmes dans les deux cas, soit environ 15 cm de long pour 5 cm de large, le manche mesurant 4 cm et l'emboîtement 2 cm.

Les emblèmes sculptés d'artisans ornent fréquemment les linteaux de porte, les poteaux corniers, les appuis de fenêtre, etc. des maisons des villes et bourgs des XVIe-XVIIème siècles, avec des dates et des initiales renvoyant au constructeur du lieu. De même, des armes d'artisans figurent sur les vitraux d'église de la fin du Moyen Âge pour témoigner des dons de leurs corporations à la communauté.

Un blason de tuilier du XIVème siècles à Wetterswiller (Bas-Rhin) © Jean-Jacques SCHWIEN


Dans ce contexte, notre emblème de tuilier est singulier et à divers titres. Tout d'abord par sa date. L'église de Weiterswiller est construite ou reconstruite en totalité vers 1340 ; le voûtement auquel appartient le culot sculpté relève de cette première phase, antérieure en tout cas au programme des peintures murales du début des années 1400 associées à un plafond en bois.

De ce fait, cette trace d'un donateur inscrite dans la pierre est particulièrement précoce. En second lieu, le contexte de l'écu sur lequel est représenté le symbole du tuilier est surprenant, puisque la forme du blason renvoie plus à un noble qu'à un artisan, sauf à considérer qu'il s'agit des armes parlantes d'un bourgeois ou patricien d'une ville des environs du nom de Ziegler. Il ne correspond en tout cas pas à ceux qui ont à ce moment-là un quelconque pouvoir sur le village, comme l'abbaye de Neuwiller, les familles de Lichtenberg ou de Fleckenstein.

L'absence de tout autre culot, sauf un exemplaire facetté très simple, ne permet pas non plus d’éclairer le contexte.

Mais c'est avant tout la forme même de ces moules qui est singulière. Les exemplaires qui nous sont parvenus, bien étudiés par exemple à Rosheim, représentent des moules ou gabarits de tuiles plates à extrémité arrondie, soit la "Biberschwanz" encore en place sur beaucoup de nos anciens toits ; par ailleurs, dans le cas des emblèmes à deux tuiles, celles-ci sont représentées superposées en forme de croix de Saint-André.

Ici, la date du culot et la forme du module à droite sur l'écu fait penser aux tuiles canal. Ce mode de couvrement, qui associe des tuiles canal inférieures (dites nonnes) à des tuiles quasi identiques supérieures (dites moines), faisant office de couvre-joint et liées au mortier, passe pour être une adaptation médiévale de la toiture romaine.

Leur présence et leur densité sont attestées par les nombreuses découvertes dans les couches archéologiques et par quelques témoignages épars encore en place, pour le laps de temps entre 1200 et 1500 environ. Elles disparaissent ensuite au profit de la tuile plate.

Les moules représentés sur le culot ne correspondent toutefois pas tout à fait aux exemplaires archéologiques recueillis en fouille, qui ne disposent pas en effet de cette extrémité à emboîtement. Cette forme de tuile correspondrait plutôt à des faîtières, y compris de la période plus récente de toitures à tuiles plates.

D'un autre côté, il paraît peu concevable qu'un tuilier ait pris pour emblème une forme aussi particulière de tuile, ce métier étant de fait très polyvalent, produisant souvent autant de briques, voire de céramiques, que de tuiles proprement dites.

Au total, nous disposons là d'un emblème de métier qui pose certes de nombreuses questions mais qui renvoie à un moment charnière de l'histoire des toitures alsaciennes encore très mal documenté, en particulier quant à la chaîne de production. À ce titre, cet exemplaire conservé dans la pierre à Weiterswiller est précieux.

Jean-Jacques SCHWIEN


Bibliographie
GERBER Paul, « À Weiterswiller, l'église "historique" : la peinture représentant saint Materne », Pays d'Alsace, n° 218, 2007, pp. 3-8.

GERST Hermann, « Les peintures murales [de l'église de Weiterswiller]", Pays d'Alsace, n° 47-48, 1974, pp. 8-12 [numéro spécial consacré à l'histoire du village].

LUTZ Thomas, LÖBBECKE Franck et al., Dächer der Stadt Basel, Basel, Basler Denkmalpflege, 2005, 473 p. [pour les données les plus récentes et complètes sur la tuile canal dans le Rhin supérieur].

MULLER Christine, JÉROME Claude, SENART Jean, Rosheim. Emblèmes de métiers d'autrefois, 1987, 72 p. [Un catalogue d'exposition, en attendant le deuxième volume de la publication exhaustive que Christine Muller consacre au même thème, annoncée sous peu].





Huit châteaux-forts à Andlau


Le Centre d’interprétation du patrimoine des « Ateliers de la Seigneurie », place de la Mairie à Andlau, présente du 1er avril au 30 juin une exposition « Des hommes et des pierres.

Construire au Moyen Âge, sauvegarder aujourd’hui ». Elle est consacrée à huit châteaux forts du Centre-Alsace : Andlau, Bernstein, Frankenbourg, Haut-Kœnigsbourg, Kagenfels, Ortenbourg, Ramstein et Spesbourg.

Diverses activités accompagnent l’exposition, dont, bien sûr, des visites guidées de châteaux, mais aussi des conférences. Georges Bischoff évoquera le 30 mai à 18h30 : « Comment meurent les châteaux forts » et Matthias Heissler et Annette David, le 27 juin à 18h30, parleront de : « Un réseau de bénévoles au service des châteaux ».

www.lesateliersdelaseigneurie.eu

Malou SCHNEIDER