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N° 58 – septembre 2020


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Sommaire




Éditorial




Bien chers amis,

L’actualité de ces derniers mois a été grandement focalisée autour de la pandémie d’ampleur planétaire. Comme tout le monde, notre Société s’est mise en sommeil, chacun d’entre nous ayant dû se cloîtrer dans son intérieur respectif. Le retour des activités à partir de juin n’a été que très partiel, du fait cette fois de la trêve estivale. Les récentes informations font état de difficultés sanitaires persistantes et notre proche avenir est toujours à la merci de décisions des autorités qui pourraient çà et là, voire partout, interdire les activités publiques ou collectives.

Dans ce contexte un peu étrange, il nous faut rester malgré tout optimistes. Nous avons préparé un programme d’activités pour l’année à venir conforme à nos habitudes : vous pourrez le découvrir dans ces pages et notre dépliant. Les projets de sorties correspondent pour l’essentiel aux visites qui ont dû être annulées ce printemps. Grâce à l’obligeance des Musées de la ville de Strasbourg, nous vous proposons de même un cycle de conférences complet, débutant dès le début du mois prochain. Nos Cahiers, enfin, vont paraître comme de coutume à la fin de l’automne, quoiqu’un peu moins fournis du fait le plus souvent de difficultés d’accès à leur documentation de la part de certains auteurs.

Par ailleurs, nous avons également poursuivi les activités liées aux questions de patrimoine. Plusieurs dossiers sont en cours.

Notre conseil d’administration a pu visiter le site des forges de Framont dans la vallée de la Bruche. Je rappelle que nous avons été sollicités en tant qu’association déclarée d’utilité publique par la famille propriétaire des lieux pour acquérir (pour une somme symbolique) ce dernier vestige des activités industrieuses de la vallée et dans le cadre d’une mise en valeur potentielle avec l’association Laminoir. La visite ayant montré qu’une partie des bâtiments, dont la cheminée, posait de graves problèmes de stabilité, le conseil a décidé d’accepter la proposition pour le seul laminoir, à transférer après démolition des bâtiments dangereux. Nous sommes pour l’instant dans l’attente d’une réponse.

En second lieu, nous avons aussi engagé deux recours en justice contre des dossiers d’urbanisme avec l’Association de sauvegarde de la maison alsacienne (ASMA). Le premier est une demande de modification d’un article du Plan local d'urbanisme (PLUI) de la communauté de communes du Kochersberg. Selon son règlement, les communes avaient le devoir d’identifier leur patrimoine remarquable avec trois niveaux de protection servant de base aux prescriptions des permis de démolir. Cette règle est en soi une avancée considérable dans la gestion du cœur de nos villages, soumis de nos jours à une pression urbanistique forte, avec démolition de nombreuses maisons anciennes, même en bon état, pour céder la place à des immeubles de rapport. Mais la moitié des communes de ce territoire pourtant riche de fermes magnifiques a négligé voire refusé ouvertement de constituer cette liste, chose soulignée fortement par le commissaire enquêteur. Le conseil communaire a toutefois voté le règlement sans ces dispositions. Avec l’ASMA a donc été déposé un recours au tribunal administratif, ce qui a conduit la Communauté de communes à engager une procédure de médiation. Les réunions avec les communes concernées devraient se tenir au courant de l’automne.

PLUI du Kochersberg. Exemple de plan de gestion du patrimoine bâti (commune de Wiwersheim), proposé par l’ASMA

Le second recours, largement évoqué dans la presse locale, concerne la plus ancienne maison connue du village de Geudertheim, que la commune a décidé de démolir pour la réalisation d’une nouvelle école. Ici également, l’ASMA avec d’autres associations ont engagé un recours contre le permis de démolir auprès du tribunal administratif. Ce dernier l’a toutefois rejeté au motif qu’il ne présentait aucun vice de forme. Les associations ont par suite sollicité le soutien du conseil départemental, cofinanceur du projet d’école, en rappelant qu’il avait mis en place une politique de sauvegarde et mise en valeur de la maison alsacienne en 2018. Ce qui a conduit à pouvoir organiser une rencontre avec le Maire de la commune qui pourrait éventuellement intégrer le bâtiment ancien dans le nouveau projet. Là également, les décisions ultimes sont encore à venir.

En troisième lieu, nous avons déposé un double recours auprès du Préfet du Haut-Rhin et du Maire de Lutter cette fois, dans le cadre de deux permis de construire affectant l’ancien tribunal de cette commune, près de Ferrette, datant de 1542. Ce bâtiment sauvé et restauré par l’association Maisons Paysannes d'Alsace dans les années 1970 a depuis changé de mains, en deux étapes. Le nouveau propriétaire de l’arrière y a d’abord transformé le pignon avec des ouvertures à accolade formant un pastiche sans lien avec la réalité architecturale originelle de la maison. Il a racheté ensuite la partie avant, le bâtiment ayant aussi entretemps été inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques. Il a commencé par transformer la grange attenante en l’augmentant d’un pigeonnier sur poteaux copié d’exemples connus du centre-Alsace, sans lien avec l’architecture locale pourtant bien étudiée et connue scientifiquement. Un premier permis avait fait l’objet d’un avis défavorable de l’architecte des bâtiments de France (ABF), du fait de la présence de ce pigeonnier. Mais les travaux se sont poursuivis, dûment consignés lors du passage en 2017 de l’ABF, écrivant que « le propriétaire met des moyens considérables pour transformer un bâtiment annexe rural en maison néo-gothique tardif ». En 2019, une nouvelle demande est accordée cette fois par le Maire avec l’avis positif de l’ABF, celui-ci stipulant « qu’il vient en régularisation de travaux effectués sans autorisation ». Un second permis est délivré début 2020 pour la rénovation de la façade principale sur rue, avec création de lucarnes et débords sophistiqués de toiture. L’ABF a également émis un avis positif, avec diverses prescriptions en soulignant que le demandeur n’a remis aucun document de détail et les sollicite avant le démarrage des travaux. Les pratiques cavalières avérées du propriétaire font ainsi craindre le pire : un permis modificatif pourra ici également régulariser des travaux non conformes aux règles de protection et surtout à l’intérêt patrimonial en soi de cet édifice, fleuron d’une dynamique de valorisation de Maisons paysannes d’Alsace, fondatrice de l’Écomusée d’Alsace. Dans la mesure où les formes d’obtention des permis étaient respectées, nous avons opté pour un déféré auprès du Préfet et du Maire plutôt qu’un recours au tribunal administratif. Celui-ci a été rejeté au motif que pour le premier permis le délai de recours était dépassé (d’un jour !) et pour le second, que « le dossier a été soigneusement étudié par la DRAC et qu’il n’appartient pas au Préfet de remettre en cause l’appréciation des professionnels du patrimoine ». Au final, si le pouvoir administratif a le dernier mot, nous avons ici quand même une forme de démission de l’État, qui régularise des travaux non autorisés et autorise des travaux à venir sans les pièces complètes sur des bâtiments protégés au titre des Monuments historiques. Comme le dit Malou Schneider dans cette même livraison de notre Lettre d’information, la guerre aux démolisseurs déjà engagée par Victor Hugo doit sans cesse être ravivée...

Le "tribunal" de Lutter (68) et sa grange réaménagée, vus depuis la rue en 2019. © SCMHA

Jean-Jacques SCHWIEN





Victor Hugo, « Guerre aux Démolisseurs »


La défense du patrimoine n’est pas l’aspect le plus connu de la vie et de l’œuvre de Victor Hugo. Cependant, au début de sa carrière, l’écrivain a publié trois écrits sur le thème de la défense du patrimoine : le poème « Bande noire » en 1823, « Guerre aux démolisseurs », écrit dès 1825 et dont la deuxième version est parue en 1832 dans la Revue des Deux Mondes, peu après le roman « Notre-Dame de Paris », édité en 1831.

Les Editions Allia (Paris) viennent d’éditer plusieurs petits livrets présentant des textes courts d’auteurs renommés. Parmi eux, le libelle de Victor Hugo intitulé « Guerre aux démolisseurs », qui en dépit de références à un contexte politique différents, est toujours d’actualité. L’auteur s’y indigne de la poursuite des destructions et déplore les disparitions incessantes des monuments souvenirs de la France du passé, en rejetant nettement la faute sur l’administration. Les propos de Hugo concernent tout autant les monuments d’Alsace, souvenirs du passé de la région, que les prestigieux monuments nationaux qu’il tente de sauver et nous ne pouvons que suivre son réquisitoire :

« Il faut le dire, et le dire haut, cette démolition de la vieille France, que nous avons dénoncée plusieurs fois sous la Restauration, se continue avec plus d’acharnement et de barbarie que jamais ». […]
« Nous posons en fait qu’il n’y a pas en France, à l’heure qu’il est, une seule ville, pas un seul chef-lieu d’arrondissement, pas un seul chef-lieu de canton, où il ne se médite, où il ne se commence , où il ne s’achève la destruction de quelque monument historique national, soit par le fait de l’autorité centrale, soit par le fait de l’autorité locale de l’aveu de l’autorité centrale, soit par le fait des particuliers sous les yeux et avec la tolérance de l’autorité locale ».

« Chaque jour quelque vieux souvenir de la France s’en va avec la pierre sur laquelle il était écrit. Chaque jour nous brisons quelque lettre du vénérable livre de la tradition. […] Disons-le haut au gouvernement, aux communes, aux particuliers, qu’ils sont responsables de tous les monuments nationaux que le hasard met dans leurs mains. Nous devons compte du passé à l’avenir. Il faut arrêter le marteau qui mutile la face du pays. Une loi suffirait. Qu’on la fasse. Quels que soient les droits de propriété, la destruction d’un édifice historique et monumental ne doit pas être permise à ces ignobles spéculateurs que leur intérêt aveugle sur leur honneur ; misérables hommes, et si imbéciles qu’ils ne comprennent même pas qu’ils sont des barbares ! ».

À partir de 1830 cependant, la protection du patrimoine devient une mission de l’État.
Un inspecteur général des Monuments Historiques est nommé et Prosper Mérimée en occupe la fonction de 1834 à 1860. À partir de 1835, Hugo intègre le « Comité des arts et des monuments » nouvellement créé et en devient un membre écouté jusqu’en 1848. La situation s’améliore nettement. Toutefois, la loi demandée par Hugo ne sera votée qu’en 1887, donnant un cadre général aux interventions de l’État quant à la conservation des Monuments historiques et Objets d’art.

Aujourd’hui, les lois, les règlements et les institutions consacrées à la protection du patrimoine existent et ont été très efficaces. Mais aujourd’hui les destructions se poursuivent, se multiplient même, lorsque les monuments historiques gênent des intérêts particuliers. Être classé Monument Historique ne suffit pas à pour être à l’abri de la destruction. Figurer sur la liste de l’Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques encore moins.

Quant aux bâtiments qui n’ont été ni classés, ni inscrits, leur intérêt patrimonial ne suffit quasiment jamais à les sauver. Il n’y a hélas plus de Victor Hugo pour vitupérer les démolisse

Malou SCHNEIDER





Les bureaux de la Société déménagent !



Après un séjour ininterrompu de 125 ans au Palais Rohan où elle s’était installée en 1896, la Société transfère cette année ses bureaux, sur proposition de la Ville de Strasbourg, au 15, rue des Juifs dans les magnifiques locaux de l’ancienne imprimerie Istra, remarquablement réhabilités et restaurés par la Caisse des Dépôts et Consignations.

Un petit regard en arrière s’impose donc aujourd’hui, pour retracer les divers lieux où, depuis sa création en décembre 1855, la Société a emménagé successivement avec ses collections. Il n’y en a pas moins de six entre 1855 et 1896, et on compte même deux projets supplémentaires, mais qui n’ont pas abouti, à la fin du XIXe siècle.

À sa création, elle s’installe à la Préfecture, dans un local mis à la disposition du bibliothécaire André Jung par le préfet Stanislas Migneret. Très vite, les premiers monuments et objets affluent et, comme le mentionne l’article 1 de ses statuts, la Société se propose de les réunir dans un musée. En 1862, les collections lapidaires prennent place en large partie dans le chœur de l’ancienne église des Dominicains où se trouvent la Bibliothèque et les Archives de la Ville. Faute de place suffisante, les autres (livres, armoires, vitrines avec le petit mobilier) sont dispersées en divers points entre les deux institutions (AG du 10 décembre 1863).

L’extension des collections et la nécessité de disposer d’un local pérenne pour les réunions amènent la location d’un appartement, mis à disposition par le baron de Schauenburg au 9, rue des Veaux, pour y établir le siège social de la Société et y regrouper et entreposer sa bibliothèque et ses collections. Une somme de 600 frs est votée pour couvrir les frais de déménagement et d’installation et couvrir la première annuité du loyer (380 frs) (séance du 24 avril 1865). Une partie des collections se trouve ainsi préservée d’une totale destruction et seules celles restées dans l’église des Dominicains (emplacement de l’actuel Temple-Neuf) disparaîtront dans l’incendie provoqué par le bombardement de la ville en août 1870. En 1871, on tente de sauver ce qui reste et « les débris des antiquités appartenant à la Société et déposées au Temple-Neuf ont été transportées dans la cour de l’Académie » ; un inventaire en est entrepris (séance du 19 juillet 1871).

Le propriétaire de la rue des Veaux souhaitant faire d’importants travaux dans son appartement, il est mis fin à la location et des démarches sont engagées par le chanoine Alexandre Straub, président de la Société, auprès de l’Évêché pour trouver un local provisoire. L’administration du diocèse met ainsi à disposition « plusieurs salles spacieuses, parfaitement éclairées et propres à recevoir les collections » dans le cloître de Saint-Étienne où se trouve le Petit Séminaire, moyennant un loyer de 500 frs par an plus 100 frs pour la cour du cloître. Les vestiges de l’ancien musée lapidaire du Temple-Neuf sont, quant à eux, hébergés en partie dans les caves du château des Rohan (séance du 2 juin 1879).

Mais cette situation idéale ne dure malheureusement pas car, en 1881, le Petit Séminaire souhaite reprendre ses locaux. L’enrichissement considérable des collections intervenu entretemps nécessite de trouver rapidement un lieu adapté et de taille suffisante. La Maison Kammerzell est pressenti un temps pour y installer un véritable musée régional, mais le choix se porte finalement sur l’ancienne Académie (devenue ensuite l’École des Arts décoratifs). Lors de l’assemblée générale du 17 juillet 1884, Straub peut faire état de la nouvelle installation dans les salles mises à disposition par la Ville. Les monuments sont amenés progressivement dans le nouveau local, puis suivent les collections de petits objets et la bibliothèque. Trois nouvelles vitrines ont également été confectionnées aux frais du Ministère d’Alsace-Lorraine pour accueillir les œuvres nouvelles et un total de 538,48 frs a été engagé pour assurer ces transferts. Deux cours et un vaste jardin sont également à disposition de la Société où pourront prendre place les monuments de grandes dimensions.

Mais l’installation ne durera guère car la Ville souhaite, en 1889, récupérer les locaux, tout en proposant de conserver le lapidaire sur place dans l’ancien jardin botanique autour de l’ancienne Académie. Le conservateur Schricker refuse immédiatement en raison des risques de dégradation des pierres de grès et émet l’idée d’intégrer l’ancien château de Rohan (séance du 13 mars 1889) et de réunir en un même lieu toutes les collections artistiques de Strasbourg. Il tente de convaincre Straub et le comité et fait état « en s’appuyant sur un métrage et des calculs minutieux » que la place ne ferait pas défaut « dans les vastes locaux actuellement occupés par la bibliothèque de l’Université et ses dépendances ». Straub promet alors d’indiquer verbalement au maire Otto Back le désir de la Société de voir ses collections installées au château des Rohan après le départ de ses occupants. Au cours des débats qui agitent le bureau, une proposition alternative surgit, en raison de la menace de démolition qui pèse sur le « Drachenschlössel » (École du Dragon), un édifice qui « se prêterait parfaitement à recevoir le musée de la Société » (séance du 25 mai 1889). Le projet de la Maison Kammerzell revient également sur le devant de la scène avec une lettre du maire demandant à la Société de « fixer le loyer qu’elle consentirait à payer pour la Maison Kammerzell ». La réponse ne tarde pas et un loyer de 1000 Marks semble envisageable « à condition que le propriétaire fasse tous les frais pour approprier la maison à sa destination future de musée, d’après le plan approuvé par le comité dans sa séance du 9 novembre 1887 ».

Après diverses tergiversations, la solution est définitivement trouvée en 1896, une année marquante dans les annales de l’histoire de la Société qui s’installe au Palais Rohan « dans les belles et vastes salles que l’administration municipale a bien voulu mettre à la disposition de la Société dans l’ancien palais épiscopal, appelé à devenir le palais des beaux-arts » (assemblée générale du 15 juillet 1896). Les pièces des Grands Appartements se transforment en réserves pour les collections archéologiques et les éléments lapidaires et les sarcophages sont alignés autour de la grande cour d’honneur. Le siège social de la Société et ses bureaux ont enfin trouvé un point de chute définitif. Les sarcophages romains et médiévaux et divers autres fragments sculptés antiques prendront cependant, dans les années 1920, le chemin du Palais du Rhin, dans le cadre d’un projet élaboré par Robert Forrer de déménagement du musée dans les grandes salles de l’ancien palais impérial. Mais seule une allée de sarcophages, toujours visible dans les jardins, sera réalisée.

Après ces longues itinérances et après la restauration du palais par la ville pour en faire un important pôle muséal, les collections archéologiques de la Société prennent place en 1913, sous la direction de Forrer, dans les sous-sols du palais, dans un lieu qu’il occupe toujours. Les salles sont installées dans le corps central de l’édifice donnant sur la terrasse et le musée prend le nom de « Musée préhistorique et gallo-romain ». Quelques changements muséographiques plus ou moins importants interviendront par la suite, avec le transfert d’une partie des collections médiévales de la Société en 1939 au Musée de l’Œuvre Notre-Dame et la création par le directeur des Musées Hans Haug d’un musée dédié aux arts du Moyen Âge. Durant la Seconde Guerre mondiale, les collections seront partiellement déménagées et entreposées dans les caves du palais puis, avec l’augmentation des risques de bombardement, en partie évacuées vers les châteaux alsaciens, en particulier à Scharrachbergheim. Les pièces les plus précieuses avaient, quant à elles, rejoint le dépôt des Musées nationaux au château de Chambord, avant de revenir en Alsace annexée en 1941.

En contrepartie du don par la Société de toutes ses collections à la Ville de Strasbourg en octobre 1946, permettant la création de l’actuel Musée archéologique, le siège social de la Société conserve de pleins droits ses bureaux du Palais Rohan, la Ville prenant entièrement en charge le coût de leur entretien.

Une nouvelle page de cette longue histoire s’ouvre aujourd’hui avec le transfert rue des Juifs, où la Société rejoindra plusieurs autres sociétés patrimoniales dans le cadre d’un ambitieux projet de création d’un lieu dédié au patrimoine régional sous toutes ses formes, à sa protection et sa valorisation. Il convient toutefois de noter que le siège social officiel de la Société reste le Palais Rohan et le 2, place du Château, l’adresse postale de nos nouveaux bureaux devenant désormais le 15, rue des Juifs.

Bernadette Schnitzler





Journée d'étude en hommage à Christian WILSDORF



Christian Wilsdorf, directeur des Archives du Haut-Rhin, a été un membre éminent de notre Société. Il est décédé en mai 2019. La Société savante d’Alsace et la Société Schongauer lui rendront hommage par une journée d’étude intitulé : « Le document et le monument », le samedi 24 octobre 2020, au musée Unterlinden à Colmar.

L’inscription préalable est obligatoire. Vous pourrez obtenir le programme en écrivant à l’adresse suivante :

24octobre2020@laposte.net







L’Imprimerie BERGER-LEVRAULT, 15 Rue des Juifs à Strasbourg



Dans quelques semaines, notre Société déménagera au 15 rue des Juifs après plus d’un siècle d’installation au Palais Rohan (1896). Selon l’historien Adolphe Seyboth, cette rue était particulièrement chargée d’histoire, puisqu’elle a abrité notamment les bains juifs au XIVe siècle. Mais elle était également un lieu dédié au livre. En effet, une première librairie y est installée par le Sieur Jung de 1811 à 1814 et, de 1832 à 1852, Frédéric Piton en fait sa librairie et le cabinet d’étude où il rédigea son célèbre Strasbourg illustré ou panoram pittoresque, historique et statistique. Promenade dans la ville. L’aventure livresque se poursuit avec l’achat de la propriété en 1868 par la famille Berger-Levrault. Initialement implantée de l’autre côté de la rue (au 26 rue des Juifs), l’imprimerie familiale ne suffisait plus aux exigences technologiques. Oscar Berger-Levrault cherche un lieu plus adéquat pour son activité. La parcelle du n° 15 est plus vaste et donne un accès supplémentaire dans l’impasse des Charpentiers. Il s’agit de construire une usine spacieuse répondant à tous les critères de la modernité. Le projet est confié à l’architecte de la Fondation Saint-Thomas, Émile Salomon, dont la femme était une cousine du commanditaire. Un contrat de construction est signé le 24 mars 1869 entre Oscar Berger-Levrault et les entrepreneurs Goener et Clog pour une livraison au 31 décembre 1869.

La propriété abrite deux bâtiments : un immeuble donnant sur la rue des Juifs, composé de bureaux, et l’usine installée au fond de la cour avec un accès par l’impasse des Charpentiers. Le plan masse du projet indique une emprise importante sur la parcelle : l’imprimerie couvre plus de 1000 m². Laissons le soin aux propriétaires la décrire : « … Le nouvel établissement couvrait une surface de plus de 1000 mètres carrés et avait été construit de manière à ce qu'aucune partie ne fût insuffisamment éclairée. La machine à vapeur et les transmissions étaient placées dans la cave ; - les papiers, les presses et les ateliers de séchage et de satinage dans le sous-sol, formant, avec la cour couverte du milieu, un immense carré ; - au rez-de-chaussée élevé, les bureaux, la Lithographie et la Composition ; - au premier étage, la Fonderie de caractères, la Stéréotypie, la Gravure et les approvisionnements d'imprimés administratifs; - au second, la Reliure et la Réglure; au-dessus, les Magasins des ouvrages édités par la Maison. - L'emballage, la menuiserie, les mécaniciens, la Caisse enfin et la Librairie de détail furent logés au rez-de-chaussée d'un avant-corps du bâtiment ayant devanture sur la rue principale [rue des Juifs]. Le tout fut réuni par des ascenseurs ; d'immenses ventilateurs assuraient l'aération des salles; de larges escaliers facilitaient, des deux côtés du bâtiment, la communication entre les divers ateliers; l'ensemble des constructions avait un aspect vraiment grandiose et monumental »1. Bien que cette usine n’ait pas été visible directement de la rue, l’architecte a donné une grande de monumentalité au bâtiment, comme le soulignent les propriétaires ! Formé à l’École des Beaux-arts de Paris au milieu du XIXe siècle, Émile Salomon avait assimilé les leçons de ses maîtres : la volonté de faire grand. Le plan masse s’inspire de l’architecture palatiale en fer à cheval. Le quatrième côté de ce quadrilatère est fermé par un bâti plus bas, référence au portail des châteaux seigneuriaux. Il est agrémenté d’un grand escalier à double rampe orné de balustrades en pierre de taille sculptées et la porte d’entrée est encadrée par de larges bossages Renaissance. L’ensemble est surmonté d’une horloge à volutes baroque. Comme l’imprimerie se trouve en fond de cour, la question de la luminosité est primordiale. C’est pourquoi, la grande façade est scandée de nombreuses fenêtres qui éclairent largement les différents étages. La monotonie de l’élévation est rompue par de fines colonnes colossales courant sur plusieurs niveaux dans la partie centrale. Une toiture à la Mansart couverte d’ardoises couronne le bâtiment. Maîtrisant parfaitement le langage classique, Émile Salomon réalise un bâtiment qui intègre la progression savante des effets architecturaux vers un point central, selon les préceptes blondéliens de la hiérarchisation et de la convenance.

À première vue, rien dans cette façade ne semble indiquer la fonction de l’édifice. L’architecte opère un assemblage d’éléments issus du passé, mais laisse des indices quant à la destination de ce « palais » industriel. Tout d’abord, l’hétérogénéité des matériaux, avec la pierre au rez-de-chaussée, la brique aux étages et la fonte, l’inscrit dans la modernité. Des poutrelles métalliques et de fines colonnes porteuses en fonte offrent une légèreté structurelle qui permet l’ouverture de larges nefs pour installer les différentes machines et les ateliers. L’emploi massif du verre fait davantage référence à l’architecture rationaliste industrielle. L’ossature générale, composée de colonnes en fonte, facilite l’évidement des murs et la mise en place de grandes baies vitrées qui semblent former un long bandeau ajouré simplement rythmé par de fines colonnes. Les cours intérieures centrale et latérales sont couvertes de verrières pyramidales apportant la lumière nécessaire à ces espaces de travail. Une cheminée, donnant sur l’impasse des Charpentiers, et une grosse horloge au-dessus de l’entrée principale parachèvent le tableau architectural d’une usine. Cette innovation structurelle faire référence aux travaux d’un Viollet-le-Duc, un Labrouste ou un Baltard qui, à la même époque, réfléchissaient à cette question de la mixité constructive de matériaux hétérogènes.

Le 1e mai 1870, les propriétaires inaugurent ce nouvel établissement avec fierté (ill. 2), mais, quelques semaines plus tard, les bombardements prussiens endommagent le bâtiment : « les toitures étaient percées à jour de tous les côtés; deux vastes brèches s'ouvraient dans les greniers ; on comptait plus de 2000 vitres brisées ; la pluie pénétrait partout, et la salle des presses ressemblait à un marécage ; les machines, exposées depuis des semaines à toutes les intempéries, étaient rouillées… » . L’usine fut reconstruite mais la situation politique de l’Alsace incite la famille Berger-Levrault à vendre l’entreprise et à transférer son activité à Nancy. La construction de la nouvelle firme est confiée à nouveau à Émile Salomon. L’imprimerie prendra le nom d’Imprimerie strasbourgeoise (plus connue sous le nom d’ISTRA) au retour de l’Alsace à la France. En 1928, le fils d’Émile Salomon, Henri, est amené à surélever une aile latérale de deux étages. L’édifice va très peu évoluer dans les décennies suivantes jusqu’à sa destruction en 1985.

L’imprimerie Berger-Levrault fait partie des rares exemples strasbourgeois des années 1860 à réunir dans un même édifice des modèles stéréotypés imités du passé à une structure moderne. Émile Salomon a ainsi su réaliser un ensemble à l’éclectisme affiché et qui témoigne d’un rationalisme syncrétique fidèle à son maître Charles Questel.



Ill. 1 : Vue en élévation de l’imprimerie, É. Salomon architecte (AVES, fonds Salomon en cours d’inventaire).

Ill. 2 : Vue en élévation, extraite de l’ouvrage consacré en 1878 à l’imprimerie Berger-Levrault.

Ill. 3 : Porte d’entrée donnant sur la rue des Juifs, É. Salomon architecte (AVES, fonds Salomon en cours d’inventaire).


Sources et bibliographie :

AVES, Police du Bâtiment, 737 W164 et 737 W 168 .

AVES, fonds Salomon en cours d’inventaire.

SEYBOTH (Adolphe), Das alte Strassburg vom 13. Jahrhundert bis zum Jahre 1870 : Geschichtliche Topographie nach den Urkunden und Chroniken. Strassburg, Heitz, 1890.

L’Imprimerie Berger-Levrault et Cie : Notice historique sur le développement et l’organisation de la maison. Paris-Nancy, 1878. Disponible sur le site de la BNF, Gallica